Le Musee de Claude Samuel

La vision, ce n’est pas seulement une profession pour Claude. C’est aussi l’amour de la vie. Depuis plusieurs décennies, Claude collectionne des lunettes, des lentilles, des instruments d’examen de la vue et des yeux, des dessins et des esquisses de lunettes, des plans de modèles et une grande variété d’articles liés à la vision, à la correction de la vue et aux lunettes.
La collection compte aujourd’hui près d’un millier d’articles, les plus anciens remontant au XVIIe siècle. Cette grande collection est importante à l’échelle internationale, mais l’unique raison de son existence et du zèle investi à l’agrandir, « c’est l’amour », explique Claude.
Parmi des monocles, des lunettes ciseaux de l’aristocratie parisienne du XVIIIe siècle, des éventails optiques, des loupes du XVIe siècle et des esquisses de lunettes de la maison de mode Pierre Cardin (d’autres réalisées par le père de Claude), il s’empare d’une petite boîte en bois, remplie de lentilles du début des années 1930. La carte de visite conservée à l’intérieur témoigne de l’identité du propriétaire de cette boîte, la grand-mère de Claude.

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Le musée de lunettes de Claude Samuel offre à ses visiteurs l’expérience fascinante d’un voyage dans le temps. Un périple captivant et riche d’enseignement au fil des développements technologiques, du style, de la mode et de la culture. Ce voyage pourrait commencer à l’époque où les lunettes ne répondaient qu’à une nécessité technique, période à laquelle les efforts et les ressources étaient investis dans l’amélioration de la vision et non du style. Ces deux articles de la fin du XVIIe siècle ont été fabriqués par la célèbre guilde des fabricants de lunettes de la ville de Nuremberg en Allemagne. Cette guilde a été la première du monde à établir des normes pour la création de montures et de verres de lunettes.

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Au fil des années, la technologie s’est améliorée et la fabrication de lunettes s’est faite meilleure marché et plus accessible au grand public. A partir de ce moment, l’attention s’est également portée sur le façonnage – les matériaux, la forme et les ornements. En d’autres termes, les lunettes, ustensiles corrigeant la vision, sont devenues des articles de mode racontant au monde qui vous êtes. En Allemagne, sont apparus au milieu du XVIIIe siècle des modèles distingués de binocles. Ce style était très à la mode dans la France d’après la Révolution, quand de jeunes élégants, les Incroyables, abordaient les rues festives de Paris munis d’un binocle pendu à un ruban de soie autour du cou.

Parallèlement, la lorgnette, lunette munie d’une longue poignée, a fait son apparition, ornée d’estampes et incrustée de pierres semi-précieuses. Leur popularité n’a fait que croitre, en particulier après l’ajout d’un petit ressort permettant de replier le verre à l’intérieur de la poignée stylisée

A la fin du XIXe siècle et au début du XXe, la poignée s’est raccourcie jusqu’à mesurer quelques centimètres seulement, et les femmes portaient leur lorgnette en broche décorative sur le revers de leur robe

Au théâtre et à l’opéra, les dames de la haute société se préoccupaient moins de ce qui se déroulait sur scène que de leur soupirant ou d’une amourette en train de se nouer sur le balcon d’en face. Pour observer à distance, elles étaient aidées par des jumelles conçues tout particulièrement pour ces événements ou par des éventails optiques spectaculaires recouverts de fines feuilles d’or, de véritables chefs-d’œuvre 

Les hommes participaient au jeu du « voir et d’être vu » grâce à de petites jumelles incorporées à leurs cannes élégantes. L’ouvrage de la haute joaillerie combiné à des éléments optiques a conduit à l’émergence de minuscules jumelles, également utilisées comme un véritable bijou.

Certains leur préféraient le verre unique, le monocle, que l’on ne sort de sa poche qu’en cas de nécessité. Ils étaient eux aussi richement décorés, qu’ils soient suspendus à une chaîne en pendentif ou en montre de poche, élégant accessoire de mode

L’une des préoccupations des premiers fabricants était de savoir comment fixer les lunettes sur le nez tout en gardant les mains libres. En fait, près de 500 années se sont écoulées depuis l’apparition des premières lunettes dans des monastères italiens au Moyen Age jusqu’à la découverte des… oreilles ! Au début, tentative fut faite d’y attacher les lunettes à l’aide de cordes, comme on peut le voir avec ces lunettes expérimentales, mais dès le début du XVIIIe siècle, Edward Scarlet, l’opticien du roi George II d’Angleterre, a répandu une idée innovante : les lunettes à branches.

A leur stage initial, de courtes branches étaient accrochées sur les côtés de la tête recouverte d’une perruque, mais elles ont rapidement fini par s’allonger et ont enfin pu se poser sur… les oreilles. Après l’invention des « oreilles », sont apparues au cours des XVIIIe et XIXe siècles diverses formes de montures et de verres, de supports et de branches : lunettes rondes, octogonales et carrées, à double foyer aux côtés rabattables ou aux verres colorés, utilisées pour se protéger de l’aveuglement ou peut-être justement pour s’en cacher

En 1825, le Français Joseph Bressy a conçu un nouveau type de lunettes, le pince-nez. Il était d’usage à cette époque d’enlever ses lunettes lors d’une réunion ou d’une conversation avec son supérieur hiérarchique. Un étudiant, par exemple, retirait ses lunettes quand il parlait avec son professeur. Ce code culturel a énormément contribué à faire du pince-nez un favori dans la lutte des classes moyennes européennes, qui, d’une seule main, pouvait rapidement faire ce geste. Qui plus est, le pince-nez procurait à ceux qui le portaient un air intelligent et forçant le respect

A partir des années 1930, l’industrie des lunettes a commencé à se développer d’une façon prodigieuse. Les entreprises de fabrication de lunettes ont ouvert en Allemagne, en France, en Autriche, en Italie et aux Etats-Unis et ont vendu leurs produits dans le monde entier. Tout de suite après la Seconde Guerre mondiale, les marchés occidentaux ont été inondés de montures composées de nouveaux matériaux comme le plastique et l’aluminium. Les années 1950 se caractérisent par les lunettes papillons ou œil de chat, rendues très populaires par les films hollywoodiens de ces années-là. Des montures aux bouts pointus ornées de pierres, de fleurs et aux différentes textures. Les hommes déambulaient avec des lunettes en fibres plastiques ou des lunettes Nylor, du nom de la firme française qui les a développées, dont les verres étaient retenus par un fil de nylon. Les stars de cinéma ont grandement contribué à la diffusion des lunettes de soleil qui étaient à cette époque un accessoire de mode indispensable

Années 1960 et 1970, éclatement de toutes les frontières, les jeunes se mettent à briser les conventions admises et les fabricants de lunettes procurent à la jeune génération l’apparence adaptée à cette humeur. C’est ainsi qu’apparaissent des modèles aux formes diverses et étranges, aux couleurs et aux textures improbables. L’art moderne a laissé son empreinte dans de nouveaux modèles et de grands créateurs de mode ont à leur tour rejoint la ronde en créant des modèles de lunettes pour leurs défilés de mode et le grand public. Parmi les articles de cette période, nous trouvons des esquisses de lunettes et des modèles de la célèbre maison de couture Pierre Cardin, réalisés pour Daniel Samuel Gauthier, le père de Claude

Le conservatisme des années 1980 ne s’est pas seulement exprimé à travers Margaret Thatcher et Ronald Reagan mais aussi avec le retour à la mode de modèles de lunettes plus formels, pour les affaires, dans la retenue. Variations de lunettes d’aviateurs, des lunettes pour femmes seyant à leurs épaulettes démesurées, et des montures arquées créant une allure de mouche, inflexible.

La collection de Claude ne se limite pas à des articles de la culture occidentale mais compte aussi des objets de cultures totalement différentes. Les Esquimaux, par exemple, représentés par un masque en os, protège les yeux de la lumière éblouissante réfléchie sur la neige. A ses côtés se trouve une variété de lunettes et d’étuis exceptionnels d’Extrême-Orient 

Outre des lunettes de soleil et des lunettes optiques, on trouve des lunettes protectrices de différentes périodes. Les passagers de 3e classe des trains à vapeur dont l’exploitation a commencé dans les années 1830 et 1840 étaient exposés aux éléments naturels, à la poussière de la route et au sable, voyageant dans des wagons sans toit ni mur. Les yeux des travailleurs du chemin de fer absorbaient aussi la fumée de la vapeur et se recouvraient de poudre de charbon, et ils portaient donc des lunettes protectrices. Dans la première partie du XXe siècle, les premières voitures, motos et avions ont favorisé le développement d’autres lunettes de protection. Il s’agissait à ce moment de bourgeois et de gens de la haute société qui les portaient pendant la conduite ou dans les airs. Les grandes guerres du XXe siècle ont également contribué au développement de lunettes protectrices, telles que les lunettes allemandes sous-marins de la période de la Seconde Guerre mondiale

Optométriste professionnel et expérimenté, Claude possède aussi des livres et des instruments d’examen et d’ophtalmologie d’époques passées. On trouve ainsi un schéma de l’œil de la fin du XIXe siècle, une collection de gobelets pour rincer les yeux, de kératomètre ; de phoroptère  et de lampe à fente

La collection qui a commencé par une petite boite en bois, pleine de verres correcteurs du début des années 30, contenant une carte de visite indiquant sa propriétaire – Judith, la grand-mère de Claude, qui a péri durant la Shoah – n’a cessé de grandir au fil des ans.  L’abondance des éléments présentés dans les différentes vitrines, aux couleurs, aux formes impressionnantes, à partir de matières premières diverses, n’est que l’infime partie d’une des plus grandes et importantes collections optiques privées au monde. Elle compte aujourd’hui plus de 1 000 pièces, toutes cataloguées, classées et conservées avec amour et respect pour l’histoire culturelle, technologique et humaine qui les sous-tendent.